Le vieil homme, petit et trapu comme un roc, s’avançait
avec légèreté sur le sol enneigé.
Un adolescent robuste l’accompagnait, qui pourtant s’efforçait de suivre
en cachant sa fatigue, car trop fier pour avouer qu’un vieillard était plus
apte à défier les chemins de montagne.
- Cette montagne, fils, avait pour nom " Mangeuse d’Homme ". C’est il
y-a longtemps, déjà.
Dieu ! Qu’elle en a croqués, des années durant, précipitant les malheureux
dans ses éboulis glacés.
Il faut dire, les parois sont traîtres : étroites et sombres, elles paraissent
solides l’après midi, alors qu’elles ont été, tout le matin, caressées par
la chaleur de l’Astre bienveillant.
Bienveillant, mon oeil ! (et l’homme à la chevelure grise crache par terre,
pour marquer son irrévérence autant que pour se débarrasser du sel qui emplie
sa salive).
Puis, il y a eu le Survivant.
C’était un brave, mais un fou. Trop fier pour avouer sa douleur ...
comme toi, si j’en juge par la sueur qui ruisselle sur ton front (dit le vieillard,
son regard azur étincelant de malignité, un sourire ironique en direction
du jeune homme).
Parce que les touristes n’osaient plus s’y aventurer, ni même les gens
du village, il a pris avec lui quelques têtes de son bétail, et s’est promis
de vaincre les sentiers maudits, pour mener paître ses bêtes sur les pâturages
que nous allons bientôt atteindre.
C’était sa façon à lui de prouver qu’on peut braver la montagne.
C’était la leçon qu’il laissait au village, pour redonner courage et relancer le
tourisme. Bien qu’ils nous envahissent l’été, ce sont pourtant eux qui nous
permettent de vivre.
Mal lui en a pris.
Leeland@2004
Malgré sa connaissance de ces sentiers, lui aussi a été entraîné bas,
dans la neige et la glace, le corps râpé par les rochers.
D’autres se seraient laissés endormir par le froid.
Lui, non !
Le matin qui a suivit sa chute, il s’est réveillé.
Engourdi, hébété, il a vu, posée à deux mètres de lui, une cigogne.
Leeland@2004
Que faisait cette bestiole sur ces terres inhospitalières ? Nul ne sait.
Toujours est-il qu’il y a vu sa chance, un signe du destin.
Aussi vif qu’il pouvait l’être, il a attrapé l’oiseau par les pattes.
Malgré les coups d’ailes de désarroi qui furent alors donnés, sans nul
doute l’oiseau était consentant. Sinon, j'imagine qu'il ne se serrait pas
laisser prendre.
L’homme a alors serré le ventre chaud de l’animal sur son propre coeur. Longtemps.
Des heures durant ...
Juste ce qu’il fallait pour se réchauffer et reprendre de la vigueur.
Quand il s’est senti prêt, il a lâché la cigogne, qui s’est envolée en
suivant les rocs, vers les cîmes.
C’est parce qu’il a suivit le même chemin que celui que lui indiquait
la cigogne, qu’il s’en est sorti.
Sinon, certainement, une pierre se serait détachée, où il se serait perdu.
Ayant ainsi escaladé les parois que lui avait indiqué le volatile, il
a retrouvé son chemin.
La moitié de son bétail repose en bas des ravins, mais il a pu retrouver
les survivants, et les mener à bon port.
Depuis, on appelle cette montagne " Vol de Cigogne ".
C’était ton père, le sang de mon sang.
C’est suite à cette histoire q’au village, maintenant, on l’appelle le
" Mangeur de Cigogne ".
Mais crois moi, même si sa vie en dépendait, jamais il n’aurait osé manger
cette bestiole, fils.
Il a juste profité de sa chaleur, et a suivit ses directives ...
car a aucun moment il n’a douté : cette cigogne, c’est la fille de notre montagne,
et son esprit.
Leeland@2004
Index
Mangeur de
Cigogne